Quand Jean Tirole divague sur le marché des organes humains

Jean Tirole.  Auteur : Ecole Polytechnique Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean_Tirole_(cropped).jpg

Jean Tirole.
Auteur de la photo : Ecole Polytechnique Source : Wikipedia

Je l’avais déjà évoqué dans un précédent post, mais je viens de découvrir de nouveaux éléments, consternants. Jean Tirole, notre grand et prude économiste, semble bien considérer le marché comme solution à tout. Y compris en ce qui concerne le manque d’organes que des malades du monde entier attendent d’obtenir avec angoisse. Pour pallier ce déficit, le Nobel toulousain considère, en reprenant à son compte les idées de Gary Becker, un autre Nobel issu de l’Ecole de Chicago, qu’« il faudrait payer pour avoir une offre d’organes suffisante ». C’est en ces termes qu’il s’est en effet exprimé, en 2011, dans le cadre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques (ça ne s’invente pas !).

Pour Jean Tirole, il faut payer une forte somme d’argent à des « gens » du Tiers-Monde

Il répondait, dans le cadre d’un débat (en voici le contenu en PDF) suivant son discours, à un des membres de l’institution, André Vacheron, qui lui demandait d’être plus précis sur le sujet. Et pour être précis, il le fut. Si Jean Tirole désapprouve le marché clandestin des organes, il conseille néanmoins de lui donner un cadre officiel. Selon lui, « Dans l’hypothèse d’école où l’on pourrait instituer un commerce bien contrôlé des organes en offrant une somme d’argent importante à des gens du tiers-monde, il est certain que des réticences se manifesteraient toujours, alors qu’il s’agirait somme toute d’un accord commercial passé à la satisfaction des deux parties. »

« Offrir une somme d’argent importante » à des « gens du tiers-monde »… J’en suis pantois… Ainsi, il s’agirait, somme toute, de rendre service à des pauvres, ce qui peut déjà être odieux – ce n’est donc pas à lui, bien à l’abri, qu’il faut faire ce genre de proposition -, mais ajoutez à cela que ce n’est pas l’Occident qu’il faut envisager d’intégrer dans ce marché. Enfin si : ce sont les riches occidentaux qui achèteront, à vil prix, les organes des pauvres du Tiers-monde, qui eux seront les vendeurs. 

On imagine les effets pervers : les familles des pays les plus pauvres, qui déjà pratiquaient ce genre de marchandage immonde de manière clandestine, trouveraient là une justification, une légitimation par les autorités. Je n’ose imaginer toutes les dérives. 

Et la justification de Jean Tirole aux réticences qu’il prévoit ? Elles ne s’expliqueraient non pas par les conséquences humaines que récuseraient la population ou les autorités devant ce tableau moyen-âgeux. Non, c’est parce qu' »on aurait trop peur qu’un donneur ayant vendu dans l’urgence un de ses organes, vienne à le regretter sur le long-terme » et que « l’on n’accepte pas de voir la misère et que l’idée est dérangeante que des gens soient contraints par la misère à vendre une partie de leur corps. »

Pour le premier argument : je ne vois pas, justement, dans le cas de la dépénalisation d’un tel marché, même s’il est encadré, ce qui peut empêcher une personne dans la misère de se précipiter ou de ne pas réfléchir aux conséquences de l’extraction d’un de ses organes. Quand on est dans la misère, justement, quand on a faim, certains sont prêts à faire n’importe quoi pour survivre. C’est bien pour cela qu’en donnant, on est certain que le donneur ne fait pas ce geste dans la précipitation !

Quant au deuxième type de réticences qu’il craint, elle ne relève que d’une considération morale. Bonnes gens, regardez la pauvreté en face, elle existe ! Ne soyez pas hypocrites ! Cela ne changera pas ! Il faut l’accepter ! Et en plus, nous allons aider ces pauvres du Tiers-monde ! 

Jean Tirole donne l’impression de raisonner sur les aspects moraux de manière froide, désincarnée, comme si dans le fond les freins moraux ne sont que des variables mathématiques – lui qui mathématise les comportements humains dans un contexte économique – qui peuvent sauter avec les bonnes incitations financières. 

Et on lui a donné un Prix Nobel… Enfin, c’est vrai, pas un vrai prix Nobel : le prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel. Nuance…

Frédéric Dessort

Pour en savoir plus, il faut se rendre sur la page de l’Académie des Sciences Morales et Politiques consacrée à Jean Tirole. Vous y tomberez d’abord sur son discours, et ensuite, dans le menu à gauche, vous pourrez télécharger le fichier que je mets à disposition aussi dans mon texte, ci-dessus

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