On se demande par quel mécanisme de déni psychologique les militants – sans doute pas tous – de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (Nupes) font l’impasse sur une contradiction profonde de leur mouvement. Une véritable schizophrénie.
Ainsi, militants et dirigeants du mouvement, si prompts à hurler contre les violences policières de leur pays, phénomène dont ils prétendent fallacieusement le caractère systémique, eux qui s’enorgueillissent de porter haut en leur coeur les droits humains, veulent mettre à la tête du pays Jean-Luc Mélenchon. Un homme qui a démontré ad nauseam qu’il apportait son soutien à des dictateurs et des régimes qui ont persécuté leur peuple !
Premier exemple. À la mort de Fidel Castro, le leader maximo de la France Insoumise lui a rendu un vibrant hommage, en concluant de sa voix tonitruante « Gloria a Fidel !! ». Qu’est ce que le régime de Fidel Castro si ce n’est celui d’un pays qui a organisé d’une main de fer un état policier prégnant et brutal ? Celui qui ose le comparer avec la police française sous Macron est un fieffé menteur ! Cuba est un pays qui sous la coupe de Castro a, pendant des décennies, systématiquement pourchassé, arrêté, torturé et assassiné ses opposants politiques ! L’ignominie a été infligée à de nombreux cubains dans les geôles de Fidel Castro ! Les tortures qui ont été imposées aux opposants du régime ont fait l’objet d’enquêtes menées par des ONG. Les sévices ont par exemple été décrits précisément dans ce terrible document établi par l’association Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture.
Deuxième exemple. Le Vénézuela. Chavez en premier lieu. Mélenchon n’a eu de cesse de louer l’autocrate coutumier des discours fleuves. Le leader Bolivarien est connu pour avoir, dans la première partie des années 2000, muselé la presse, ce que RSF a attesté dans cette enquête. Plus récemment, en 2019, c’est Maduro qui a reçu le soutien sans équivoque du leader insoumis. Pourtant, en 2017, le successeur de Chavez a réprimé le plus durement la révolte qui montait contre son pouvoir : arrestations arbitraires, tortures, assassinats. On pourra lire ce rapport de Human Right Watch pour comprendre cette mécanique de persécution.
Et Poutine. Un seul exemple, qui date de 2016. Jean-Luc Mélenchon soutenait-il le bombardement infernal de la Syrie infligé par l’armée russe venue au secours de Bachar Al Assad, causant les atrocités que l’on connaît ? « Oui ! », avait-il répondu avec morgue à Léa Salamé sur le plateau de l’émission On n’est pas couché, prétextant que les victimes n’étaient que des membres de l’État Islamique. Ce qui était complètement faux, et ce qu’il ne pouvait pas ignorer. Mais il a préféré reprendre l’antienne anti-atlantiste, arguant d’une prétendue intoxication de la presse par d’obscurs agents de l’impérialisme occidental. Inqualifiable posture.
Dans la même émission, quelques minutes plus tôt, un autre échange m’a choqué. À propos de Saddam Hussein. Le leader maximo de la France Insoumise n’en loupe pas une avec les despotes. On ne lui en demandait pas tant.
L’échange. Yann Moix le lance sur la Syrie, soulignant son opposition à toute ingérence étrangère. Et Mélenchon de rappeler l’invasion de l’Irak par les américains. « Nous commençons par aller en Irak pour vaincre Monsieur Saddam Hussein, qui était un tyran abominable, bla bla bla bla, qui avait des armes de destructions massives, nous cassons tout, le résultat est une pagaille absolument innommable », a-t-il développé.
Ainsi, pour lui, Saddam Hussein était « un tyran abominable bla bla bla bla » ?
Du bla bla bla ce statut de tyran ? Sympa pour les nombreuses victimes de son régime qui a organisé la torture de nombreux kurdes. Doit-on rappeler l’horreur qu’ils ont enduré dans la maison rouge de Souleimaniya ou comment le fils du dictateur punissait les athlètes du régime qui perdaient une rencontre sportive ?
En 2017, Jean-Luc Mélenchon a aussi été pris en flagrant délit de discours élogieux à l’endroit du régime chinois. Qui embastille, lave le cerveau, torture et tue – en partie en prélevant leurs organes – opposants et membres de communautés, les Falun Gong, les Tibétains, et les Ouïghours. La répression de ces derniers est l’objet du combat de Raphaël Glucksmann qui a récemment apporté son soutien à la Nupes. Triste nouvelle et grande déception.
Je ne trouve pas utile de contextualiser ces prises de position que je relève par la rhétorique et tout le logiciel de pensée trostko-stalino-maoïsto-il-faut-en-passer-par-là-pour-libérer-l’humain-anti-atlantisto-que-sais-je-encore dont Mélenchon ne s’est jamais départi. Les faits sont les faits, et les faits sont têtus. Celui que les militants de la Nupes appellent à la prise du pouvoir a multiplié les adresses émues à des dictateurs et des régimes qui ont organisé la répression dans le sang de leur peuple. Point barre. En totale contradiction avec les idéaux humanistes portés par la Nupes.
Mais l’aveuglement militant est un puissant moteur. Le diable Macron en est l’ecstasy. On croirait être encore au temps du déni des atrocités commises par les régimes socialistes, quand Sartre rendait fièrement visite à Fidel Castro et traitait les anti-communistes de « chiens ».
Relisons la dernière de ‘couv’ de « L’homme révolté », d’Albert Camus.
« « Je me révolte, donc nous sommes », affirme Camus. La révolte est le seul moyen de dépasser l’absurde. Mais le véritable sujet de L’homme révolté est comment l’homme, au nom de la révolte, s’accommode du crime, comment la révolte a eu pour aboutissement les Etats policiers et concentrationnaires du 20ème siècle. Comment l’orgueil humain a-t-il dévié ? »
Un constat qui semble ô combien encore d’actualité à la vue des populismes qui se sont multipliés ces dernières années à travers le monde…
Frédéric Dessort